mercredi 4 novembre 2015

Laudato si’ sous le regard du Père Eric Mèdagbé

A l'heure où tout le monde parle des effets des changements climatiques et où, décideurs politiques et économiques, ONG et personnes de bonne volonté soucieuses de la protection de l'environnement se préparent à la Conférence de Paris sur le climat (COP 21), qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre 2015, les participants à la traditionnelle Assemblée diocésaine de Niamey, qui s'est tenue du 08 au 10 octobre 2015, ont relu et médité l'encyclique du Pape François, Loué sois-tu, sur la sauvegarde de la création. Dans ce sens, nous vous proposons une réflexion, sous forme de regard d'un africain sur l'encyclique, à partir de 3 questions : Que dit l'encyclique ? Que nous dit l'encyclique ? A quoi nous engage l'encyclique ?

1. Que dit l'encyclique ?
Dans Laudato si', publiée le 18 juin 2015, le Pape François nous invite, en substance, à prendre soin de la création que Dieu nous a confiée. « La destruction de l'environnement humain est très grave, parce que non seulement Dieu a confié le monde à l'être humain, mais encore la vie de celui-ci est un don qui doit être protégé de diverses formes de dégradation. » (n°5). Sans peut-être y faire attention, notre existence est liée à la nature, et notre survie dépend, d'une certaine manière, d'une nature saine. C'est certainement ce que le Pape veut nous faire comprendre lorsqu'il dit que « notre propre corps est constitué d'éléments de la planète, son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous restaure. » (n°2).

Malheureusement, nous ne cessons de maltraiter cette nature qui, finalement, représente une partie de nous-mêmes, une sœur. Depuis plusieurs années, « cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par l'utilisation irresponsable et par l'abus des biens que Dieu a déposés en elle » (n°2). D'où l'appel à « une conversion écologique globale » (n°5). Car, en détruisant la nature, nous nous détruisons avec elle, et nous brisons notre relation avec Dieu. De fait, « les récits de la création suggèrent que l'existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre. » Or, « selon la Bible, ... l'harmonie entre le Créateur, l'humanité et l'ensemble de la création a été détruite par le fait d'avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées. Ce fait a dénaturé aussi la mission de "soumettre" la terre (voir Gn 1, 28), de "la cultiver et la garder" (Gn 2, 15). Comme résultat, la relation, harmonieuse à l'origine entre l'humain et la nature, est devenue conflictuelle (voir Gn 3, 17-19) » (n°66). La conversion écologique globale apparaît ainsi comme le message fondamental de l'encyclique du Pape François. Pour lui, cette conversion rime avec humilité et charité, et apparaît à la fois comme un nouveau regard et une nouvelle attitude à avoir vis-à-vis de Dieu, du prochain et de la création. C'est la condition pour promouvoir véritablement la dignité des hommes.

Finalement, pour le Pape François, Laudato si' apparaît à la fois comme une tribune d'où il dresse le constat de notre planète maltraitée par nous-mêmes, et un forum où il invite tous les chrétiens et les hommes de bonne volonté au dialogue afin de « chercher ensemble des chemins de libération » (n°64) pour la nature et partant, pour les hommes, en vue de parvenir tous à Dieu. Car, indique le Saint Père, « la fin ultime des autres créatures, ce n'est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu'au terme commun qui est Dieu ». (n°83).

2. Que nous dit l'encyclique ?
« Il faut considérer également la pollution produite par les déchets, y compris les ordures dangereuses présentes dans différents milieux. Des centaines de millions de tonnes de déchets sont produites chaque année, dont beaucoup ne sont pas biodégradables : des déchets domestiques et commerciaux, des déchets de démolition, des déchets cliniques, électroniques et industriels, des déchets hautement toxiques et radioactifs. La terre, notre maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense dépotoir », a indiqué le Pape. Dans le contexte du Niger, celui qui sillonne par exemple les rues de Niamey peut reconnaître humblement qu'il reste du chemin à faire dans le cadre de l'assainissement. En effet, presque dans tous les quartiers, l'on peut observer des dépôts de déchets et d'ordures ménagers dans les rues publiques. Dans son article publié le 15 juillet 2015 sur le site du principal journal d'Etat (www.lesahel.org), Siradji Sanda écrivait : « La ville de Niamey est sale. Le constat est palpable. Décharges sauvages dans certains quartiers, flaques d'eau voire des mares font leur apparition dans d'autres. Les deux se mélangent souvent dans d'autres quartiers encore, des caniveaux bouchés... une situation qui n'est pas pour faciliter la vie des citoyens de la capitale ». Au regard de cela, l'on est tout de suite tenter de crier : danger ! Car, ce qui est en jeu ici, c'est notre santé, mais aussi, notre vivre-ensemble, notre économie, etc. Et ce risque n'épargne personne : homme, femme ou enfant, pauvre ou riche, ouvrier, commerçant ou fonctionnaire, politicien ou simple citoyen. Nous n'y faisons peut-être pas attention, mais chaque jour qui passe, nous nous exposons à un danger permanent : celui de voir notre santé se détériorer progressivement à cause de la pollution que nous provoquons, nous-mêmes. Car, les « dépôts de substances ... contribuent à l'acidification du sol et de l'eau ». Chaque fois que nous versons nos eaux usées sur la voie publique au lieu de les mettre dans le caniveau, chaque fois que nous versons nos ordures dans les caniveaux ou jetons nos papiers froissés et nos sachets plastiques n'importe où au lieu de les mettre dans les poubelles, chaque fois que nous négligeons de ranger nos chambres, nos salles de classe, nos bureaux, nos ateliers, chaque fois que nous laissons nos hôpitaux insalubres... nous contribuons à polluer la nature et à dégrader notre propre santé. Car le manque d'assainissement a forcément des répercussions sur la santé.

A ce problème, il faut ajouter celui des sachets plastiques. Je me rappelle encore de cet étudiant qui racontait qu'un jour, à l'Université de Niamey, il avait demandé à l'un de ses collègues de classe de ramasser son sachet plastique huileux qu'il venait de jeter. Et son collègue de rétorquer, tout en colère : « Au nom de quoi me demande-tu cela ? Ramasse-le toi-même, puisque tu estimes être propre ». Rappelons que depuis le 28 octobre 2014, le Niger s'est doté d'une loi interdisant la production, l'importation, la commercialisation, l'utilisation et le stockage des sachets et des emballages en plastique souple à basse densité, rejoignant ainsi plusieurs pays africains qui ont banni de leurs habitudes les sachets plastiques non biodégradables. Par cette mesure, le Niger entendait donc protéger son environnement et offrir à tous ses citoyens un cadre de vie agréable. Mais à ce jour, où en sommes-nous concrètement avec cette loi? Est-elle réellement appliquée ? A mon humble avis, pas encore suffisamment. Il suffit de parcourir un peu les rues de Niamey comme des autres villes du pays pour réaliser qu'un grand pas mérite d'être fait. Partout, en effet, on constate des sachets et même des tas de sachets plastiques. J'ose penser, comme le pape François, que l'attitude de ceux qui jettent partout les sachets plastiques sans aucun remords provient d'une culture du déchet qui s'apparente à un débarras de tout ce qui ne sert plus : « ces problèmes sont intimement liés à la culture du déchet, qui affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures » (n°22). Mais, cela fait encore plus mal au cœur lorsqu'on voit des gens jeter des sachets sans gêne et sans respect pour ceux qui se trouvent à côté, comme ce fut le cas de l'étudiant ci-dessus évoqué. Certains disent même : « il y a des gens qui sont payés pour ça non ? ». Il faut le dire : cela frise l'incivisme. Il nous faut mettre fin à ce genre de comportement !

Dans un pays sahélien comme le Niger où l'économie, reposant essentiellement sur l'agriculture vivrière et l'élevage, est exposée aux phénomènes de variations climatiques et de sécheresse, sauvegarder l'environnement c'est aussi lutter avec force contre la désertification. Un autre problème environnemental au Niger, et pas des moindres. Selon la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Cnued), qui s'est tenue à Rio de Janeiro en 1992, « le terme désertification désigne la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». C'est en fait un processus plus ou moins irréversible de dégradation de la couverture végétale, des sols et des ressources en eau. Il aboutit à une diminution ou à une destruction du potentiel biologique des sols, dont la fixation est pourtant nécessaire. En effet, « le sol est une ressource naturelle indispensable et précieuse à bien des points de vue : ses fonctions sont multiples, à la fois économiques, sociales et environnementales : le sol permet l'agriculture, accueille et offre l'espace nécessaire à l'habitat et aux diverses activités humaines, stocke lui-même d'autres ressources naturelles (eau, minerais, ressources et combustibles fossiles) ». Aussi, la désertification apparaît-elle comme un enjeu de développement durable. Elle entraîne une insuffisance voire un manque de nourriture, d'eau potable, de terres cultivables, et bien d'autres problèmes sociaux. Selon le Sommet mondial sur le développement durable (2002), « ses effets sont environnementaux, à la fois locaux (érosion des sols, dégradation de la fertilité et de la structure des sols, pollutions des nappes souterraines) et globaux (appauvrissement de la biodiversité, réduction de la capacité des sols à fixer le carbone, pollution des eaux internationales). Ils sont également fortement sociaux : la dégradation des sols fragilise les populations pauvres, leur retirant parfois leur dernier moyen de subvenir de manière autonome à leurs besoins, accroissant les risques épidémiques, freinant le développement de bien des régions ».

3. A quoi nous engage l'encyclique ?
Au "forum sur le changement climatique – apprendre du Sahel", tenu à Niamey le 2 septembre 2009, Mgr Michel Cartatéguy, alors Archevêque de Niamey, posait cette question : « Nous qui sommes en quelque sorte les premières victimes de ses changements climatiques, quelle est notre contribution à la réduction des effets de serre ? Resterons- nous les bras croisés à attendre que les pollueurs répertoriés se décident avant de nous assumer ? » Aujourd'hui, c'est le Pape François qui nous appelle à prendre nos responsabilités.

En vérité, tout le discours du Pape sur la biodiversité (22-32) se veut à la fois un regard bienveillant sur la création maltraitée par les hommes, un appel à une prise de conscience et une invitation à célébrer la fraternité universelle : avec Dieu, avec les (autres) hommes et avec la création. C'est aussi la preuve que l'Eglise se sent appelée à s'engager pour la sauvegarde de la nature et partant, pour le développement durable. L'Eglise, oui, appelle chacun de nous à adopter le geste qui sauvera la planète du pire, car c'est un bien commun. Cela est possible !

Père Eric MEDAGBE

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