mardi 31 mars 2015

Le dialogue inter-religieux, une réflexion du Fr Vincent Kiyé

La théologie des religions est une discipline récente et est née dans un contexte du pluralisme religieux, de la globalisation mieux d’une nécessité de repenser les relations des croyants qui vivent les uns à côté des autres. Dans un tel environnement, le besoin de se côtoyer dans la vérité et dans l’amour, du dialogue de vie et d’échange des valeurs de vie s’avère un impératif existentiel et récurrent. La chaleur humaine n’a pas de couleur confessionnelle. La diversité des confessions religieuses n’a jusqu’à ce jour, jamais entravé le désir inné des hommes de se sentir frères en humanité. Pour cela donc, il a fallu réglementer ce désir du vivre-ensemble des hommes, senti comme une soif toujours inassouvissable afin de donner sens à la marche des hommes vers leur destin commun, qui est la vie en Dieu au soir de leur pèlerinage terrestre.


For de cela, le constat est que les différences de religions, de race et de peuple ne suppriment jamais ce que les hommes ont en commun et qui constitue la matrice de l’humanité en marche vers la plénitude de la vie en Dieu. Car, de façon inattendue et selon la préscience de divine, Dieu peut, de façon merveilleuse et mystérieuse, se servir des religions du monde pour attirer à Lui des êtres humains. Cette foi est celle qu’ont confessée les pères du Saint Concile Vatican II lorsque, dans un effort de penser la possibilité du salut dans les autres traditions religieuses, ont mis en relief ce qui a de positif en elles comme valeurs spirituelles que nous partageons ensemble et qui peuvent déterminer notre destin commun. Comment alors concilier les positions des différentes religions du monde, notamment celles des religions dites non chrétiennes ou les autres traditions religieuses avec la religion chrétienne dans une perspective de renforcer leur lutte pour la cohabitation pacifique et surtout en ce qui concerne l’approche du salut de l’humanité par rapport à la personne du Christ que les christianisme confesse comme l’unique médiateur entre Dieu et les hommes ? Quelle est la place de ces traditions religieuses dans l’économie du salut ?

Nous développerons ces questions en trois points. Le premier point consistera à mettre en relief, l’approche inclusiviste de Vatican II. Au deuxième point, nous aborderons la question du génie des autres traditions religieuses du monde. Au troisième point enfin, nous démontrerons comment la théorie de l’accomplissement transcende tout verbalisme et toute éthique de la discussion et reste valable et valide bien au-delà de toute discussion.

1. Vatican II au cœur de l’approche inclusiviste du salut
Depuis l’ère du dialogue interreligieux, la personne du Christ ou la christocentrisme n’a cessé de poser problème en contexte de dialogue interreligieux. Une lueur d’espoir, mieux le grand pas interviendra avec l’approche du théocentrisme. La valeur salvifique des religions du monde ne sera plus dès lors à démontrer de sorte que souligne la Déclaration Nostra Aetate, de nos jours « l’Eglise Catholique ne rejette rien de ce qui est vrai dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes. [1]»

Nous dirons ici, sans peur d’être contredit que par son essence toute religion se fonde sur deux piliers que sont Dieu et l’homme. Ces deux pôles restent des préalables nécessaires pour faire pencher le cœur de Dieu vers les hommes de tout temps, de toute religion et toute race. A cet effet, précise les pères conciliaires de Vatican II, « le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d'Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, ... Et même des autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu'ils ignorent, Dieu n'est pas loin, puisque c'est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses (cf. Ac 17,25-28) , et puisqu'il veut, comme Sauveur, que tous les hommes soient sauvés.[2] » Il est ici question de l’exigence d’une conscience active de l’essence de Dieu et de ses exigences vis-à-vis de l’homme, créé à son image comme une voie élémentaire du salut pour tout homme. Car son saint désir de Dieu est « que les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (1 Tim, 2, 4). Comment alors situer le rôle du Christ ? A cet effet, l’option pour Jésus-Christ l’investie comme un pédagogue divin qui est venu systématiser et conduire à sa perfection, cette médiation du salut mieux, cette démarche vers Dieu de sorte qu’il en est devenu la voie sûre qui nous révèle que « Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme » (1 Tim, 2, 5). 

L’incarnation du Christ est une forme de solidarité avec l’humanité sans l’humanité. C’est ce que nous pouvons déduire dans cet extrait de Gaudium et Spes lorsque les pères du Saint Concile soulignent que « par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme, il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté d'homme il a aimé avec un coeur d'homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l'un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché .[3]) Conscient de cette réalité, nous pouvons alors confesser à la suite de Saint Jean que «le salut ne se trouve en aucun autre. Aucun autre Nom sous le ciel n’a été donné aux hommes par lequel nous devrions être sauvés.” » ( Jn 3, 16 ; Ac 4, 12)

Le Saint Concile évoque plusieurs éléments pour mettre en relief la dimension de l’universalité du salut dans le Christ. Par son exemple de vie, Jésus est devenu la lumière d’une multitude, des chrétiens et non-chrétiens. En effet, « en souffrant pour nous, il ne nous a pas simplement donné l'exemple, afin que nous marchions sur ses pas (26), mais il a ouvert une route nouvelle: si nous la suivons, la vie et la mort deviennent saintes et acquièrent un sens nouveau.[4] » Voilà l’approche authentique du salut que le Christ apporte à l’humanité que Benoît XVI analyse en termes de « l’art de vivre » lorsque, parlant de la mission originelle du Christ en notre chair, il souligne que « Jésus est descendu du ciel pour nous enseigner l’art de vivre » [5] de sorte qu’en mettant en pratique son enseignement, que notre existence trouve sa raison d’être, trouve sens dans le modèle de l’amour et du respect du prochain et des biens du prochain. Il s’agit ici de la dimension universelle du salut de l’humanité toute entière. Car l’imitation du bien n’est pas l’apanage de seuls chrétiens mais une inclination, une attirance de tout homme. A cet effet, nous osons croire que même les ennemis jurés du Fils de la promesse, n’échappent point de faire du modèle de vie qu’il a menée, un idéal sans nom de leur vie mieux de leur enseignement. Le saint Concile renchérit à cet effet que « Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal.[6] »

La possibilité du salut du Christ dans les autres religions n’est plus à démontrer à l’heure qu’il est bien que les orientations des débats divisent souvent l’opinion. Il salut quant à nous d’un salut réel mais difficile à nommer.


2. Le génie des religions non chrétiennes 

S’il est vrai qu’il existe certains éléments dans les religions non chrétiennes, qui soient incompatibles avec la foi chrétienne, il en existe beaucoup d’autres qui sont louables comme d’inspiration divine et dont l’authenticité peut trouver plein sens dans les actes et les paroles de Jésus. Comme le souligne le Saint Concile, « depuis les temps les plus reculés jusqu'à aujourd'hui, on trouve dans les différents peuples une certaine sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine, parfois même une reconnaissance de la Divinité suprême, ou encore du Père. Cette sensibilité et cette connaissance pénètrent leur vie d'un profond sens religieux.[7] »

En plus, l’exigence du dialogue fraternel entre les hommes qui trouve son achèvement dans la communauté des personnes et l’impérieuse nécessité d’entretenir les relations entre les hommes que les progrès techniques actuels contribuent largement à développer, restent des vérités qu’aucune conscience ne peut nier. Cette communauté des personnes, souligne le Saint Concile, « exige le respect réciproque de leur pleine dignité spirituelle. La Révélation chrétienne favorise puissamment l'essor de cette communion des personnes entre elles; en même temps elle nous conduit à une intelligence plus pénétrante des lois de la vie sociale, que le Créateur a inscrites dans la nature spirituelle et morale de l'homme.[8] » Or, les religions non chrétiennes, restent par-dessus tout, des communautés de vie et de personne et à ce titre, ressentent elles aussi, comme un impérieux besoin de favoriser le respect réciproque entre les personnes. C’est dans cette dynamique de relever ce qu’il y a du vrai et du réel dans les diverses religions non chrétiennes, que le Saint Concile Vatican II soulignera que « … les autres religions qu'on trouve de par le monde s'efforcent d'aller, de façons diverses; au-devant de l'inquiétude du cœur humain en proposant des voies, c'est-à-dire des doctrines, des règles de vie et des rites sacrés. [9]» 

Un autre aspect non négligeable qui guide les consciences des adeptes de ces religions vers le destin commun reste l’approche axiologique dont le sens du bien à faire, du respect de la vie et de l’autre, du respect de la création. A ce point, affirme Benoît XVI en citant Jean-Paul II, « les différentes traditions religieuses contiennent et proposent des éléments de religiosité qui procèdent de Dieu, et font partie de ‘’ce que l’Esprit fait dans le cœur des hommes et dans l’histoire des peuples, dans les cultures et les religions.’’[10]» Une des choses qu’aucune conscience ne peut dénier à ces traditions religieuses est leur approche de l’homme comme fruit de la volonté créatrice de Dieu. C’est ce que reprend Roger Arnaldez lorsque parlant de l’Islam, il rapporte que l’Islam apprend aux hommes « qu’ils sont créés, qu’ils ne se sont pas faits eux-mêmes et qu’ils doivent à Dieu leur existence ainsi que tout ce dont dépend leur vie en ce monde et dans l’autre[11]. » La sacralité de l’homme, la lutte pour la vérité restent des valeurs indéniables et apodictiquement non négociables dans toutes les traditions religieuses, les situant au parfum de la divinité. Ces valeurs ainsi attestées, suffisent-elles à justifier que ces traditions religieuses sont des voies autonomes au salut ?


3. La « trans-réalité » de la théorie de l’accomplissement

Que Vatican II reconnaisse du vrai dans ces traditions religieuses du monde, ne justifie pas qu’elles sont des voies autonomes du salut par rapport à la médiation du Christ. La question du salut de l’humanité en Jésus est une réalité qui se vit mais qui est difficile d’en parler surtout dans un contexte du dialogue avec les religions non-chrétienne. L’approche la plus crédible en cette matière est celle d’une bonne herméneutique pareille à celle que prône Claude Geffré lorsque parlant du nouvel âge de la théologie, il définit le théologien comme celui qui travaille à « rendre plus intelligible et plus signifiant pour aujourd’hui le langage déjà constitué de la révélation » C’est la tâche par excellence qui revient aux théologiens modernes rongés par l’impérieux désir du dialogue interreligieux.


S’il est vrai que les autres traditions religieuses adorent le Dieu unique, elles ne définissent pas pourtant tous les mystères de ce Dieu que nous ne pouvons ni nier ni remettre en cause simplement puisque nous les maîtrisons pas. La conduite prudente à adopter pour l’humanité dans son ensemble est traité avec respect, toutes les formes de vérité supérieures qui s’offre à sa conscience plutôt que de s’entêter libre et gratuitement.

L’être du Christ relève bien de l’ordre des catégories transcendantales et donc insaisissable à tout esprit obstiné. La dimension mystique de la rédemption du Christ est une réalité bien présente dans toutes les religions du monde mais qui ne dit pas son nom de sorte que, pour tous ceux qui ne sont pas formellement et visiblement membres de l’Eglise, « le salut du Christ est accessible en vertu d’une grâce qui, tout en ayant une relation mystérieuse avec l’Eglise, ne les y introduit pas formellement mais les éclaire d’une manière adaptée à leur état d’esprit et à leur cadre de vie[12] ». For de cela, il ya de quoi affirmer la structure triadique du salut dans l’Eglise qui ne se contredit guère et dans le monde. Il s’agit de Dieu, Créateur de tout ce qui existe et Père de Jésus et de l’Eglise corps mystique du Christ. Toute la problématique du salut gravite autour de ces trois concepts.

Le saint concile Vatican II reconnaît en effet, la possibilité du salut dans les autres traditions religieuses qui, sans exagérer, « contiennent et proposent des éléments de religiosité qui procèdent de Dieu, et font partie de ce que l’Esprit fait dans le cœur des hommes et dans l’histoire des peuples, dans les cultures et religions.[13] » Et comme le Christ est l’expression parfaite de Dieu qui se retrouve dans la confession de ce dernier, il accomplit et comble pour cette raison même, les efforts des hommes de bonne volonté dans leur marche vers le salut. Car, de toute éternité « Dieu veut le salut de tous par la connaissance de la vérité. Le salut se trouve dans la vérité. Ceux qui obéissent à la motion de l’Esprit de vérité sont déjà sur le chemin du salut.[14] » Ainsi, partout où il y a les étincèles de cette vérité qui a un nom, il y a l’esprit du Christ présent au cœur de l’homme. Approche qu’illustre Joseph Doré lorsqu’il affirme que « par l’intervention de son Esprit en tant que celui-ci vient porter à son accomplissement la vie qui déjà sous action, a commencé de naître chez les membres des religions par les moyens que celui-ci offre en tant que telles.[15] » Voilà le bilan que nous pouvons faire de cette lecture qui rejoint l’esprit de Vatican II qui, parlant du rôle que l’Eglise a à jouer à notre temps, affirme que « dans sa tâche de promouvoir l'unité et la charité entre les hommes, et même entre les peuples, elle examine ici d'abord ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée.[16] »


CONCLUSION

Au terme de notre analyse, nous voudrions rendre un sacré hommage à l’impérieux héritage de Vatican II dans son effort de rendre possible l’approche inclusiviste du salut de l’humanité et cela dans un langage très diplomatique qui voile en dévoilant l’incontournable rôle que le Christ à jouer dans la dynamique de l’accomplissement du salut dans les autres religions. Croire en Dieu implique mutatis mutandis, la foi au Christ qu’on le veille ou pas. Le Christ Fils Unique de Dieu, est toujours et déjà présent dans la confession de Dieu le Père et surtout la le sain désir des hommes d’agir selon le bien et de poursuivre la vérité.

Ainsi donc, affirmons-nous, le mystère du Christ tout en étant insaisissable, transcende les religions et les cultures de sorte qu’il devient une réalité générique et omniprésente dans l’existence humaine. En définitive, le sommet du grand apport de Vatican II apparaît, lorsqu’il affirme en effet, que « tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter toute la race humaine sur la face de la terre (1) ; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s'étendent à tous (2), jusqu'à ce que les élus soient réunis dans la cité sainte, que la gloire de Dieu illuminera et où tous les peuples marcheront à sa lumière (3).[17]»

[1]  Vatican II, Déclaration Nostra Aetate, n° 2.
[2] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, n° 16.
[3] Vatican II, Constitution pastorale, Gaudium et Spes (G.S),  n° 22
[4] Ibidem.

[5] www.zénith.com, Benoît XVI dans la catéchèse de mercredi 28 novembre 2012, en la salle Paul VI du Vatican.

[6] Gadium et Spes,  n° 22, § 8.
[7] Nostra Aetate, n° 2.
[8] Idem, n° 23, § 4.
[9] Nostra Aetate, n° 2.
[10] Congrégation pour la doctrine de la foi, Dominus Iesus, Sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise, n° 22.
[11] Roger Arnaldez, L’homme selon le Coran, Inédit, Paris, Hachette littératures, 2002, p. 10.
[12] Jean-Paul II, Redemptoris missio, n° 10.
[13] Congrégation pour la doctrine de la foi, Dominus Iesus, Sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise, n°22.
[14] Ibidem.
[15] Joseph DORE, « La présence du Christ dans les religions non-chrétiennes », in Chemin de dialogue, n° 9, Marseille, 1997, p. 13-61.
[16] Nostra Aetate, n° 1
[17] Nostra Aetate, n° 1.

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